Discours

Waly BA (Auteur)

Permettez-moi avant tout d’exprimer ma profonde gratitude pour l’occasion qui m’est offerte de prononcer le discours d’usage à l’occasion de cette prestigieuse cérémonie de distribution de prix aux lauréats du concours général, édition 2024. C’est un moment où se rencontrent nos espoirs et nos ambitions, un instant où nous célébrons, non seulement les réussites exceptionnelles mais où nous envisageons aussi de relever les défis et de saisir les opportunités qui se dessinent à l’horizon. Ce moment est d’une importance capitale, pour moi personnellement, pour nous tous ici présents, en raison de la symbolique qu’il représente et de son caractère solennel. Ce moment est également exaltant, car il nous donne à réfléchir sur comment nous projeter dans l’avenir avec détermination et optimisme. C’est un moment qui nous donne l’occasion de sacrifier à un rituel délicat et qui, cette année, nous amène à nous interroger sur « Enjeux, défis et perspectives pour une école au service de la souveraineté ». Il s’agit donc d’aborder, à travers ce thème, des questions touchant à l’essence même de ce que nous considérons comme étant le plus précieux pour notre société : l’éducation de nos enfants, la formation de nos futurs leaders, et donc la préparation de la génération à venir à assumer avec brio leurs responsabilités, dans un contexte de quête d’un “Sénégal uni, souverain, juste et prospère.” Excellence, Monsieur le Président de la République, Permettez-moi de vous féliciter, et à travers vous votre ministre de l’Éducation nationale, d’avoir porté votre choix sur monsieur Mamadou SANGHARE comme Parrain de cet auguste évènement. Monsieur SANGHARE est de la race de ces hommes rares dont on parle avec une certaine vénération non feinte, pour la consistance de leur parcours académique et l’épaisseur de leur contribution scientifique pour faire bouger les lignes. Cet homme est sans doute un homme d’exception, parce que comme tous les mortels d’exception, il n’a qu’une seule vie, mais il a su la démultiplier à l’infini en la consacrant essentiellement à sa passion pour les Mathématiques, cette discipline réputée caustique et rébarbative, mais qui, d’une manière ou d’une autre, influence l’évolution des Sciences et Techniques, qui sont, comme nous le savons, au cœur de toutes les formes de développement. Monsieur SANGHARE, cher Patriarche, Berger des chiffres, Pasteur des nombres complexes, le Seigneur m’entend, et je pense qu’il adhère sans réserve à mon postulat : vous êtes exceptionnel. Vous êtes exceptionnel parce que vous ne vous êtes pas contenté d’assimiler les mathématiques et de les enseigner. Vous en avez extrait le suc et la sève, avec quoi vous les réinventez inlassablement, jusqu’à en être le Souverain. L’admiration silencieuse que la Patrie a pour vous est de celles qui ne s’expliquent pas. Qui ne se discutent pas. Elle se constate et se vit, tout simplement. Voilà pourquoi votre humilité légendaire trahit sans cesse votre volonté de rester à jamais discret. Vos pas feutrés sur la terre ne font en vérité que vous exposer davantage sous les projecteurs de la Reconnaissance, car vous êtes trop grand pour passer inaperçu. A l’heure où notre cher pays entre de plain-pied dans l’industrie du gaz et du pétrole, il y a bien de quoi vous offrir en exemple à nos apprenants, pour que, une bonne fois pour toutes, ils prennent conscience qu’une bonne appropriation des Sciences peut être un ressort inestimable pour la conquête de la Souveraineté. Et à vous chers lauréats, je vous recommande vivement de faire de votre parrain un point de repère fondamental. Parce qu’en tant que trésors de la Nation en qui nous avons placé nos plus grands espoirs vous avez besoin d’un modèle comme celui-là, pour comprendre qu’enfin nous savons apprivoiser toutes les ressources propices à notre développement. Excellence, Monsieur le Président de la République, Permettez-moi, avant d’entrer dans le vif du sujet, de faire un rappel de quelques valeurs, principes et modes de vie qui font la fierté de notre pays. Le Sénégal est un beau pays ! Sur les plages de nos relations intercommunautaires, roulent les vagues d’une cohésion sociale multiséculaire qu’aucune velléité de scission n’a jamais pu entamer. Nous avons initié des expériences républicaines quasi uniques dans le monde : nous sommes l’un des rares peuples composés d’une écrasante majorité de musulmans, dirigé pendant deux décennies par un président d’obédience catholique. Nous sommes l’un des pays au monde où l’on trouve des cimetières mixtes, où dorment à l’unisson des morts musulmans et des morts catholiques sous le regard tutélaire et bienveillant du Seigneur. Nous avons une solide culture de l’élégance, de la bienséance mais surtout une culture d’ouverture et d’hospitalité, que le monde entier nous envie et qui fait du Sénégal une destination privilégiée. Nous avons une jeunesse dynamique et consciente, secouée certes par la conjoncture, mais altière dans sa quête d’un idéal. Nous avons un génie créateur hors pair, un capital d’érudition considérable porté par des sachants de dimension mondiale, à qui on voue beaucoup de respect dans les plus hautes instances de la planète. Nous avons Senghor, premier académicien noir, nous avons Serigne Moussa Ka, dont la profondeur philosophique des poèmes n’a rien à envier à celles de Hugo, de Baudelaire, d’Edgar Allan Poe. Mais nous avons aussi Cheikh Anta Diop, porteur d’une vision révolutionnaire qui inspire plus d’un aujourd’hui. Toute proportion gardée, nous pouvons affirmer que nous sommes un peuple béni. Nous le serions, toutefois davantage si nous travaillions à être plus autonomes, plus indépendants, bref, pour plus de souveraineté. Souveraineté, mère des valeurs. Souveraineté, mère de toutes les dignités. La souveraineté ? Qu’est-ce donc la Souveraineté ? C’est la faculté pour un être de se lever brusquement, de se tenir debout, droit, comme un “I”, pas le “I” de « incapacité », mais le “I” de « indépendance », et de s’ébranler vigoureusement mais lucidement vers un horizon clairement identifié. C’est l’acte par lequel, en toute autonomie, l’on use de ses propres forces motrices pour se projeter droit vers un point ciblé. La Souveraineté, c’est l’anti-dépendance. C’est le pouvoir de se soustraire à l’angoisse de la béquille. C’est de pouvoir dire : je suis Homme, je suis libre, et tout ce qui représente une once de liberté en l’humain ne m’est point étranger. Une nation souveraine, c’est celle qui est parfaitement consciente de ses potentialités et qui mesure tout l’enjeu qu’il y a de les convertir en ressources de développement par un sens soutenu de l’effort et de la mise à contribution du génie de son peuple. C’est de ce formidable sursaut d’orgueil dont nous avons besoin pour créer les conditions d’une nation véritablement prospère, absolument apte à profiter de tout ce que la nature l’a dotée. À cet effet, vers qui ou vers quoi se tourner alors si ce n’est vers l’école ? L’école, c’est le creuset où se fermentent les intelligences d’une nation. Qu’elles soient bonnes ou moyennes, elle doit s’assigner l’impérieuse mission de les rendre meilleures au bénéfice de toute la nation. Mais notre école est-elle dans ces dispositions ? A-t-elle été pensée, conçue pour cette mission ? Fonctionne-t-elle au quotidien en vue d’accomplir cette mission ? Ne doit-on pas la repositionner pour qu’elle soit davantage au service de la souveraineté nationale ? En cette année 2024, alors que le monde continue de vivre des changements rapides et profonds, il est plus crucial que jamais de réfléchir aux fondements de notre système éducatif. Puisque sans être nihiliste pour le moins du monde, nous constatons que notre école, depuis près de cent ans qu’elle existe, tente, tant bien que mal, d’offrir des réponses à ce besoin essentiel d’être suffisamment maîtres de notre destin. Cette réflexion est essentielle car elle touche au cœur de ce que nous voulons pour notre pays. L’éducation est le socle sur lequel nous bâtirons notre avenir commun, le pilier qui soutiendra notre développement économique, social et culturel. Ce discours se veut une contribution à la réflexion pour une réaffirmation de nos valeurs et un engagement de la part de tous à œuvrer au bénéfice de notre nation. Aujourd’hui le monde froid et austère dans son aplomb de pachyderme, nous attend dans une compétition âpre et sans merci. Une compétition où nous ne pouvons guère plus nous contenter d’apporter seulement du rythme. En plus, à l’heure où la croyance en une mondialisation inhibitrice laisse de plus en plus place à l’affirmation d’identités économiques et culturelles singulières, il est devenu absolument important de nous réapproprier nos valeurs intrinsèques qui peuvent conforter notre place dans le concert des nations et affermir notre souveraineté. S’il est vrai que l’école est un des leviers par excellence au moyen desquels la souveraineté s’obtient, il va bien falloir alors aller vers une transformation en profondeur de notre système éducatif, comme le veut la nouvelle vision du ministère de l’Éducation nationale : “Faire évoluer notre système éducatif vers une société éducative inclusive et efficiente, pour enfin, former à l’horizon 2035, un citoyen bien adossé à son socle endogène de valeurs africaines et spirituelles tout en étant préparé aux défis du développement durable, des sciences et technologies, du numérique et de l’intelligence artificielle”. Il est vrai qu’à travers le temps, ce système a connu plusieurs réformes pour répondre aux aspirations légitimes du peuple. Les États Généraux de l’Éducation tenus en 1981 représentent une initiative historique exceptionnelle, dont l’incidence sur la vie du système a été considérable. Et ces États Généraux, faut-il le rappeler, font suite à plusieurs réformes, notamment celle de 1968, qui prônait un changement radical des orientations du système et celle de 1979 fixant les nouveaux programmes de l’école élémentaire par décret n°79-1165. En 2014, tenant compte des insuffisances liées à l’application des conclusions des États Généraux, de celles des réformes qui les ont précédées et de celles qui les ont suivies, notamment celles de 1987 et de 1990, l’État du Sénégal a organisé les Assises Nationales de l’Éducation et de la Formation, dont les ambitieuses déclarations d’intention ont fait souffler un grand vent d’espoir. Hélas, aujourd’hui encore, nous constatons pour le regretter que la plupart de ces élans réformistes, malgré la générosité patriotique qui les sous-tend, n’a pas connu un aboutissement véritablement probant. Nous pourrions légitimement penser que les difficultés liées à la mise en œuvre de ces réformes, aux résultats sans doute mitigés, ne sont pas étrangères à la lenteur de notre nécessaire marche vers la Souveraineté. Le souci de perfectionnement nous habite depuis toujours, et c’est fort louable. Mais (jusque-là), la somme de nos efforts n’a jamais été à la hauteur de nos honorables ambitions. Aujourd’hui Il nous faut faire mieux et plus, le tout dans une cadence beaucoup plus soutenue. Nous n’avons, à vrai dire, aucun autre choix, car nous avons pris l’option d’avoir la Souveraineté L’émergence d’une école au service de la souveraineté commence aussi par un approfondissement de l’intégration des langues nationales dans notre système éducatif. Des initiatives concrètes ont été récemment prises dans ce sens, notamment avec le modèle harmonisé d’enseignement bilingue au Sénégal (MOHEBS), mais l’importance de cette démarche avait déjà été reconnue par l’illustre visionnaire Cheikh Anta DIOP, qui voyait en cela un moyen de désaliénation du peuple noir. Élever nos langues nationales au rang de langues d’enseignement ne vise pas seulement à améliorer l’efficacité de l’apprentissage, mais aussi à décoloniser culturellement notre éducation. Les langues véhiculant les cultures de leurs origines, celles étrangères sont souvent en décalage avec nos propres valeurs, ce qui crée une dissonance culturelle chez nos élèves. Comme l’a brillamment souligné Madame Dieynaba BADJI dans son Discours d’usage au Concours général de 2010, citant Roland Barthes : « Toute langue est fasciste, parce qu’elle nous enferme dans une vision du monde spécifique et nous contraint à penser d’une autre manière ». Cette perception met en lumière la puissance contraignante des langues importées et leur influence sur nos élèves. C’est d’ailleurs fort de ce constat que le ministère de l’Éducation nationale, à travers le levier stratégique N° 4, adossé à la nouvelle vision évoquée ci-dessus, a décidé d’ « accélérer et (de) généraliser l’introduction des langues nationales dans le système éducatif ». En ma qualité de professeur de français, conscient des richesses infinies de cette langue et en raison de notre nécessaire ouverture au monde et aux autres, je ne peux certes plaider pour sa suppression. De la même manière, je vois mal comment l’on pourrait ignorer aujourd’hui, la puissance conquérante de l’anglais, dont la généralisation de l’enseignement est d’ores et déjà fortement recommandée par les nouvelles autorités. Mais, force est de reconnaître que le développement peut difficilement se réaliser pleinement avec une langue étrangère comme unique vecteur d’enseignement. Nous devons donc, généraliser aussi l’enseignement de nos langues nationales pour véritablement avancer vers la souveraineté. Ce changement radical nous permettrait d’être plus efficaces dans la marche vers la souveraineté. Excellence, Monsieur le Président, distingués invités, Pour impulser cette politique de souveraineté, notre système éducatif doit d’abord chercher à être davantage autonome, notamment en ce qui concerne la prise en charge de nos besoins scolaires et de nos projets de recherche. Tant que, par exemple, pour les besoins de la conception et de l’édition de nos manuels scolaires, nous continuerons à sentir la nécessité de bénéficier de subventions extérieures, si minimes soient-elles, il est fort à parier que nous pourrions rester sujets à une forme subtile mais persistante d’aliénation intellectuelle. Au nom de cette souveraineté à laquelle nous aspirons, nous devons donc apprendre à nous en passer progressivement tout en développant parallèlement des stratégies d’autofinancement, comme nous y invite un des leviers stratégiques du ministère de l’Éducation nationale : “développer des modes de financement innovants et l’industrie de l’éducation”. En réussissant ce pari, nous apporterons du coup des réponses plus appropriées et plus rassurantes à deux équations majeures : l’accès à l’éducation et la qualité des enseignements/apprentissages. Car effectivement, aujourd’hui encore, beaucoup de citoyens en âge d’aller à l’école n’y vont pas. En réalisant une révolution à grande échelle du mode de financement du système, nous pourrions sûrement mettre fin à ce semblant d’“exclusion ”structurelle à laquelle nous avons fini par nous accommoder. La scolarisation pour tous ne doit plus être perçue comme un horizon hors de portée, sous prétexte qu’il n’y a pas suffisamment d’argent pour construire des écoles, des Daara les équiper ou encore pour recruter des enseignants. Excellence, La République, pour une école au service de la souveraineté nationale, ne doit plus accepter d’être responsable de la non-fréquentation de son école par certains de ses enfants. A cet effet, il ne s’agit pas seulement d’imaginer de bonnes solutions et de trouver des ressources. Il faut aussi s’atteler à les répartir le plus équitablement possible entre les différentes régions du pays. Le sentiment d’appartenance à une nation bienveillante et solidaire est à ce prix. Toutefois, cet élan de démocratisation de l’accès à l’éducation, tout généreux qu’il soit, serait vain s’il n’intègre pas la nécessaire exigence de qualité des enseignements/apprentissages. Il ne sert à rien de gagner le pari de la scolarisation à grande échelle pour ensuite placer les enfants dans des conditions d’études très précaires qui les amènent à penser qu’ils sont en exil forcé sur un territoire hostile. Au-delà de sa dimension purement matérielle (salles de classes, blocs administratifs, tableaux, équipement informatique…), l’école doit mettre à son service des enseignants bien formés. Pas seulement bien formés, mais aussi suffisamment motivés pour se surpasser à la tâche sans qu’il n’y ait point besoin de fouetter leurs ardeurs. Ce sentiment d’épanouissement qui prédispose l’agent à aller au-delà de ses limites est indissociable d’une revalorisation de la fonction enseignante. L’enseignement est un beau métier. Le plus noble de tous les métiers, sans doute. Mais trop de malentendus, pas forcément inévitables, ont fini par lui faire porter un visage ébouriffant et grotesque. Il est temps que son attractivité soit restaurée, pour que des citoyens en quête d’emploi n’y viennent plus parce qu’ils n’ont rien trouvé ailleurs, mais parce qu’ils ont l’intime conviction qu’ils vont s’épanouir en franchissant chaque matin le portail d’un établissement, en traçant les lignes du Savoir sur un tableau noir, en se penchant pendant des heures sur une pile de copies à corriger. C’est la vocation même qu’il s’agit de restaurer, et cela doit commencer par un diagnostic vraiment sans complaisance et suffisamment profond afin de comprendre pourquoi il y a de plus en plus de jeunes compatriotes qui embrassent cette profession malgré eux et qui s’en éloignent à la première occasion. Fort heureusement, Monsieur le Président de la République, les orientations prises par le Ministre de l’éducation nationale rassurent, d’autant plus que, le premier levier stratégique adossé à la vision évoquée plus haut vise la “Valorisation de la profession enseignante pour une transformation systémique de l’éducation”. Évidemment, à ce sujet, les points de vue de tous les acteurs de l’éducation sont attendus. Mais nous devrons, sans doute, commencer par interroger le passé, mettre en perspective toutes les ressources qui permettent de montrer comment l’exercice patriotique de la profession a pu représenter, à un moment donné, un important facteur de stimulation de la citoyenneté, et donc, tout naturellement, du sentiment d’appartenance à une nation souveraine. En somme, pour aboutir à une restauration conséquente de la vocation, il sera sans doute opportun de dépoussiérer la meilleure image de l’enseignant que nous offre l’histoire de notre école. Cet enseignant modèle au vrai sens du terme. Modèle dans sa prestance. Modèle dans l’expression de son génie pédagogique. Modèle dans sa façon de manifester au quotidien son sens élevé des responsabilités. Cet enseignant dont la brillante personnalité inspire respect et admiration à l’Apprenant et l’amène à se répéter à lui-même : « Je veux être comme cet homme quand je serai grand ». Si ce type d’enseignant-là a pu exister dans un Sénégal sorti à peine des ténèbres de la colonisation, un Sénégal où le SMIG était presque dérisoire et où les moyens réservés à l’éducation étaient plutôt insignifiants, pourquoi ne renaîtrait-il pas dans un Sénégal de la troisième alternance démocratique où la République inspire du gaz et dégage du pétrole ? Excellence Monsieur le Président de la République, Distingués invités, Une école au service de la Souveraineté c’est aussi et avant tout une école guidée par la raison ; une école consciente de ce qui peut et doit se faire ; une école consciente qu’une véritable efficacité des enseignements apprentissages est indissociable d’une rationalisation des programmes. Notre école nous enseigne beaucoup trop de choses. Le volume des contenus à apprendre à travers les matières est, par endroits, pléthorique, et l’utilité immédiate déclarée de la plupart de ces contenus est plutôt discutable. C’est dire donc que plus de quatre siècles après Montaigne, nous ne nous sommes pas libérés de l’encyclopédisme comme méthode d’apprentissage préconisée par Rabelais et que l’auteur des Essais avait vigoureusement décriée. Des choix de programmes discutables nous rappellent aujourd’hui encore hélas que le sage de Bordeaux avait bien raison d’affirmer en son temps qu’une tête bien faite vaut mieux qu’une tête bien pleine. Entre le Cours d’initiation et la dernière étape du parcours scolaire où l’apprenant est censé décrocher ce que l’on appelle une qualification professionnelle, notre système installe trop d’obstacles cognitifs artificiels. C’est dire donc qu’en raison des urgences qui nous empoignent, il est plus que nécessaire de réfléchir aussi sur la durée de nos cursus scolaires, et chemin faisant, envisager la possibilité de faire acquérir à nos apprenants des compétences pratiques à des niveaux beaucoup plus bas. A cet effet, le cycle moyen pourrait par exemple être une étape où l’apprenant sera déjà suffisamment outillé pour transformer chaque savoir reçu en un objet de valeur. Nous devons aussi réorienter notre système éducatif vers un développement durable, en renforçant les filières scientifiques et techniques pour préparer notre jeunesse aux défis majeurs de la transformation agricole, artisanale et industrielle. Cependant, il est crucial de ne pas céder aux sirènes du tout scientifique. Ne sacrifions pas la poésie et les arts, qui nourrissent notre âme et maintiennent notre connexion avec les forces vibratoires du monde. Un agrégé de médecine doit pouvoir encore s’émerveiller devant la beauté exquise d’une fleur, et un géologue de même devant le vol plané d’un papillon. Excellence Monsieur le Président, Le temps étant notre meilleur ennemi, nous devons apprendre à mieux le dompter avec les armes d’une innovation intelligente et concertée. Pour ce faire, un préalable s’impose. Il faut réfléchir au décloisonnement du système des séries (séries littéraires/séries scientifiques) ; car au fond, le cloisonnement est parfois perçu comme une source de complexes insensés. En arrivant à un modèle au-delà des séries, l’on aboutirait sans doute à l’émergence d’un modèle d’élève plus complet et plus à même d’appréhender le Savoir comme une totalité homogène et indivisible. Excellence Monsieur le Président de la République. Nos écoles s’appauvrissent souvent de leur tendance à évoluer en vase clos en dépit des cadres de dialogue et concertation établis à tous les niveaux par le système. Or donc, la répétition des mêmes choix d’enseignement portée par une atmosphère routinière conduit souvent, tout naturellement, à la lassitude. Il est donc de bon ton d’aller vers un dépaysement enrichissant, en favorisant notamment une collaboration multiforme (pédagogique, récréative, didactique…) entre les écoles et les universités. L’ouverture, en toute chose est fécondante, mais elle l’est davantage encore dans le domaine éducatif. En fait, le dialogue des expériences scolaires se révèle souvent comme un excellent facteur pour découvrir les cécités, les insuffisances et les lacunes sciemment ou inconsciemment ignorées. Il est vrai que la collaboration entre instances éducatives de même catégorie n’est pas une réalité inexistante. Nous savons que l’université Gaston Berger et l’Université Cheikh Anta DIOP, pour ne prendre que cet exemple, entretiennent des interactions particulièrement intéressantes, fondées sur des mouvements d’enseignants pour combler des gaps pédagogiques ou prendre en charge d’autres urgences assimilées. Ce que nous invoquons donc, ce n’est pas une invention de la pratique, mais plutôt sa généralisation et sa consolidation. Nous en avons les moyens, alors, pourquoi la volonté devrait-elle nous manquer ? Nous sommes même fondés à croire qu’une interpénétration de ce genre est trop fructueuse pour garder une dimension strictement interscolaire. Elle doit être élargie aux collectivités immédiates dans lesquelles les établissements sont installés. Oui, le concept École-milieu est à vrai dire trop beau pour rester à l’état d’une simple déclaration d’intention. Il est temps de rendre effective la contribution inestimable que l’une est censée recevoir de l’autre. Par ailleurs, la formalisation et la consolidation d’une collaboration interscolaire nationale doit servir de terrain d’entrainement pour le renforcement d’une politique partenariale, surtout entre nos facultés et des universités étrangères. Car les réalités intellectuelles et pédagogiques vont un peu trop vite parfois dans le monde où nous sommes, et la meilleure manière de ne pas se laisser dépasser, c’est d’inscrire sa démarche dans une permanente logique du donner et du recevoir, avec les horizons éducatifs les plus divers. Ce faisant, nous aurons toute l’opportunité de recueillir légalement ce que nous considérons comme leur génie pédagogique pour enrichir notre propre horizon éducatif. Et vice versa. À cet effet, il y a un véritable enjeu à renforcer l’exploitation des Technologies de l’Information et de la Communication. L’enseignement à distance, malgré son corollaire d’inconvénients avérés et non négligeables, présente des avantages énormes. D’où la nécessité de l’élargissement de l’espace d’expression qui lui est déjà consacré. En plus de favoriser des gains de temps vertigineux, les TIC ont ce pouvoir magique d’associer un nombre impressionnant d’apprenants et d’enseignants dans un cadre virtuel de diffusion et de partage de savoirs. Des expériences technologiques de cette nature sont aujourd’hui largement exploitées dans les universités virtuelles et par la FASTEF, notamment dans le cadre des formations certificatives destinées à certains enseignants. Ces derniers n’ont maintenant plus besoin de traverser tout le pays en des moments peu propices pour venir recueillir des cours en présentiel et dans des conditions quelquefois incommodantes. Ne nous laissons surtout pas démotiver par cette disparité dans l’usage du numérique qui nous impose de boiter, par moments, sur les chemins escarpés du Progrès. Nous sommes pressés par la nécessité, et nous avons tout intérêt à nous approprier ces armes de construction massive que sont les TIC et spécialement l’Intelligence artificielle, pour apprivoiser les distances qui nous séparent de la Souveraineté. Excellence, Monsieur le Président de la République Mesdames, Messieurs Nous l’évoquions à l’entame de notre propos, une cure d’amaigrissement doit nécessairement être appliquée à nos programmes ; mais l’espace libéré peut et doit abriter d’autres apprentissages que notre rapport très complexe à l’évolution du monde nous impose. Il s’agit entre autres de l’éducation au numérique et à l’environnement. L’éducation aux médias, particulièrement, devrait, à notre avis, être très rapidement élevée au rang d’une sur priorité. En effet, point n’est besoin de rappeler que les médias possèdent un pouvoir redoutable dans l’art de faire absorber des contenus, parfois très nocifs pour la santé morale(mentale) des jeunes esprits. Ils leur proposent quelquefois des formes de divertissements enivrants et ensorcelants mais sans lendemain, et qui n’ont de cesse d’épaissir cet écran de fumée qui les sépare de leur identité propre. C’est regrettable de l’affirmer de la sorte, mais les médias savent être parfois la pire version de Pénélope. Le jour, l’enseignant, dressé contre les murs de l’ignorance, élève des blocs de savoirs, de savoir-vivre et de savoir-faire dans la tête des apprenants ; et chaque soir, hélas, il s’étonne de voir avec quelle rageante facilité le redoutable monstre médiatique arrive à défaire et déconstruire sa belle œuvre. Ainsi face à ce conflit latent entre école et médias, qui tourne souvent à l’avantage de ces derniers, force est de reconnaitre que l’école doit trouver le moyen de se défendre contre le péril médiatique, qui ne cesse de piéger sa population dans les ténèbres de l’endoctrinement. Mais plus que de les apprivoiser, l’école doit s’approprier tout ce que ces médias ont de valeureux et d’instructif pour le mettre au service des apprenants. Libérer les apprenants des servitudes pernicieuses des médias, surtout des médias sociaux, et les outiller pour s’approprier leurs miracles, voilà donc tout l’enjeu d’une éducation aux médias. Ce faisant, nous contribuerons à la formation d’une jeunesse consciente, suffisamment préparée pour s’attaquer aux chantiers de la Souveraineté. Il ne doit plus être question de laisser prospérer ce travail de sape des médias, qui prennent trop facilement prétexte de la mondialisation de l’information et des loisirs pour planter dans la tête des enfants des obscurités presque impossibles à désamorcer. Excellence, Monsieur le Président de la République, Mesdames, Messieurs, Aujourd’hui, en dépit de l’embellie des taux de réussite aux examens certificatifs, il reste que les taux d’échec sont toujours inquiétants, surtout au niveau d’un examen aussi déterminant que le Baccalauréat. Il y a donc à vrai dire, matière à s’interroger, à se demander si l’investissement que nous faisons pour la réussite des candidats à cet examen si prestigieux est satisfaisant. A mon sens, il faut oser davantage affronter la pédagogie de la réussite, porter-pourquoi pas - le taux de réussite au bac à 80%, voire plus. Un tel défi a forcément un coût, mais l’excellence au service de la Souveraineté est à ce prix. Nous avons l’obligation de présenter à la planète entière des profils de diplômés irréprochables, parce que nous devons donner la preuve au monde entier que nous avons toute l’intelligence requise pour aborder les horizons de cette Souveraineté avec sérénité, assurance et efficacité. En somme, si nous avons la prétention d’entrer de plain-pied dans un Sénégal qui ressemblerait à un El Dorado, un Sénégal pleinement souverain, notre école doit secréter, en très grand nombre, des ressources humaines de très grande qualité. La préférence nationale ne doit plus rester à l’état d’un simple vœu pieux. Notre école doit produire des citoyens taillés sur l’étoffe de l’Excellence, qui se font former ici, et qui, pour de multiples raisons, choisiront de rester ici pour servir la Patrie. A ce sujet, la récente mise sur pied des Classes préparatoires aux grandes écoles est un premier pas particulièrement rassurant. La poursuite de leurs études par nos meilleurs bacheliers à l’étranger est une vieille tradition académique à laquelle, certes, il n’est guère envisageable de mettre définitivement fin sur le court terme. Mais nous devons objectivement reconnaitre que le désir de poursuivre ses études à l’étranger, chez la plupart des élèves éligibles à cette migration, réfère souvent à un certain exotisme pédagogique qui ne peut avoir qu’un impact ravageur sur le degré de patriotisme des concernés. D’où d’ailleurs la persistance de l’épineuse équation de ce qu’il est convenu d’appeler la « fuite des cerveaux ». Cette déplorable fuite des cerveaux dont on dit qu’elle a des soubassements essentiellement économiques. Oh que non. Ce n’est là que la face visible de l’iceberg. Excellence Monsieur le Président de la République, Distingués invités, Comme vous avez pu le constater à l’aune des pistes que nous avons énoncées, l’invention d’une école de la souveraineté et pour la souveraineté est un chantier immense. Et mon intime conviction est que, en cette matière, la volonté, même associée à la plus farouche des déterminations, ne suffit pas. Toutes les innovations éducatives agitées et auxquelles nous accordons une réelle présomption d’efficacité ne pourront rencontrer un succès éclatant que si elles sont solidement adossées à un culte très élevé du patriotisme et de la citoyenneté. Dans l’école que nous envisageons avec un grand espoir, l’éducation à la citoyenneté doit donc constituer un axe programmatique prioritaire. C’est d’ailleurs dans ce sens que s’inscrit la Nouvelle Initiative pour la Transformation Humaniste de l’Éducation, « NITHÉ » en acronyme, érigée en “surpriorité” ; et dont l’objectif est de renforcer l’éducation aux valeurs de patriotisme, de citoyenneté et de civisme. Il ne suffit pas d’être né dans un pays pour mesurer tout l’amour, toute la passion, autant dire toute la vénération qu’on lui doit. A la base, la fibre patriotique est logée quelque part en chacun de nous. Mais c’est un trésor qui dort et qui peut ne jamais réaliser ce nécessaire grand réveil si on ne le provoque pas. Et voilà pourquoi donc, à mon humble avis, il n’est pas aberrant de considérer que la toute première mission que doit s’assigner l’école c’est de tailler des citoyens modèles dans l’étoffe de tout un agrégat de valeurs qui fondent notre commune volonté de vivre en commun. L’école doit donc être ce creuset, cet atelier ontologique multifonctionnel où il faut forger, modeler, raboter la personnalité de chaque individu aux fins de le rendre éligible à la tribune du meilleur des engagements citoyens possibles. Une telle fondation, où se mêle inextricablement sentiment d’appartenance et conscience du devoir de gratitude, est la seule à pouvoir supporter l’édifice pyramidal de la Souveraineté telle que nous l’envisageons. L’école, pour tout dire, doit de ce point de vue servir à préparer les apprenants à l’engagement civique désintéressé, au sens élevé du sacrifice sans contrepartie en faveur de cette valeur immatérielle fondamentale qui nous lie indissociablement et qu’on appelle la Patrie. Cette perspective ne peut se réussir que si une véritable politique pédagogique de l’éducation à la citoyenneté s’énonce dès le Cours d’Initiation, pour subsister d’une manière ou d’une autre dans les enseignements/apprentissages jusqu’au doctorat, pour enfin aller vers la société éducative tant souhaitée dans le cadre de la nouvelle vision du ministère de l’éducation nationale. A cet effet, il nous faut avant tout prioriser la découverte et la connaissance de ce que notre patrimoine culturel, intellectuel, historique et religieux a de plus admirable. Mon intime conviction est que les exploits patriotiques de nos résistants doivent être placés en tête de gondole et abordés sous des angles plus décisifs dans l’enseignement général de l’Histoire. Cette Histoire regorge d’événements et de faits grandioses dont l’école ne peut faire l’économie dans le sens de la promotion d’un enseignement des valeurs nationales. A travers les âges, le brave peuple que nous sommes a dû affronter de terribles bouleversements qui auraient pu entamer à jamais notre dynamique solidaire et notre cohésion sociale. Nous pouvons être fiers d’avoir surmonté autant d’épreuves, mais nous devons rester conscients que nous ne sommes pas définitivement à l’abri de secousses intempestives qui remettraient notre force collective en question. A cet effet, la meilleure manière de procéder c’est d’organiser la résistance à l’école en offrant en modèles ceux qui se sont sacrifiés pour la Patrie à une époque où rien ne leur était favorable. C’est dire donc que l’enseignement de l’Histoire, de notre Histoire, a véritablement besoin d’évoluer, pas seulement en termes de volume, mais aussi en termes de profondeur dans sa présentation. Il faut que les exploits historiques soient globalement enseignés comme un sacrifice pour l’honneur, pour que la Patrie, même démembrée, désamorcée, reste fière dans son envie de souveraineté, en jetant ses dernières forces dans la bataille. La réactualisation des exploits de nos vaillants résistants par la mise en scène, à travers, entre autres, le théâtre, peut aussi avoir un impact insoupçonné dans la conscience des apprenants, notamment dans leur rapport au devoir de mémoire et leur obligation patriotique de poursuivre le combat. Par une de ces merveilleuses boutades dont lui seul a le secret, le poète Jacques Prévert écrivait ce qui suit : De deux choses LUNE. L’autre c’est le SOLEIL. En termes de performances scolaires, nous avons longtemps cheminé sous la clarté lunaire. Mais nous n’avons pas pu hélas triompher de la nuit, parce que la nuit est trop dense et parce que aussi nous avons appris trop tôt à dialoguer avec l’obscurité. Et pourtant une bien meilleure clarté existe, c’est celle du soleil. Il est là, qui nous attend, au bout de cette aube transparente d’un jour nouveau dont parlait Senghor… En définitive, l’école sénégalaise doit devenir le pilier de notre souveraineté, en intégrant nos langues nationales et en valorisant notre riche patrimoine culturel. Elle doit se libérer d’une certaine dépendance financière pour assurer une éducation véritablement autonome et pertinente. En réorientant notre système éducatif, nous pouvons créer une génération de Sénégalais capables de relever les défis du XXIe siècle, tout en restant fidèles à nos racines et à notre identité. Ce discours est un appel à l’action et à l’effort collectif pour construire un Sénégal souverain et prospère. Que cette vision guide nos pas vers un avenir brillant et indépendant. Chers lauréats, Vous êtes le bel humus choisi sans aucune forme de complaisance pour fertiliser les terres bénies de notre Intelligence collective. Vous êtes la sève ardente, l’énergie lumineuse battant au rythme de notre fierté nationale qui soutient notre élan vers les enjeux, les défis et les perspectives pour une école au service de la Souveraineté. Mais quel sens aurait cette célébration enthousiaste sans la reconnaissance de l’apport inestimable de vos parents ? Parents, bâtonniers de l’Ordre national du Dévouement et du Sacrifice ; vous qui vous êtes tant dépossédés, au-delà de toute limite, pour enrichir la Nation, en investissant sur vos enfants pour les porter au pinacle du Savoir et de l’Excellence. Vos enfants ? Non. Plutôt les enfants de la Patrie. Car des enfants de votre qualité sont trop précieux pour appartenir exclusivement à leurs familles respectives. Et vous aussi enseignants, armées sans titres, soldats sans galons. La Nation vous doit une fière chandelle. Vous êtes les vrais héros, parce que vous remportez toujours des victoires contre l’ignorance. Vous tous donc, par votre présence éclairée au cœur de nos vœux communs, de nos aspirations communes, vous me donnez toutes les raisons d’oser l’espérance. Ainsi, comme cet autre illustre rêveur du siècle précédent, moi aussi je fais un rêve grandiose. Je rêve qu’un jour, sur les terres d’un Sénégal épanoui, un Sénégal emblavé à l’infini, un Sénégal au peuple requinqué à coups d’autosuffisance intellectuelle et ouvrière, que dans ce Sénégal-là, se dresse l’école, fière dans sa posture naturelle de soldat du devoir, pour dire : « Ceci est mon œuvre ». Ce Sénégal de la Souveraineté intégrale est bien possible, et je ne doute guère que l’Exécutif devant, nous nous donnerons les moyens de le provoquer. De le faire exister. De le tirer de toutes les forces de notre intelligence collective des flancs du Rêve. Que le SOUVERAIN veille sur vous.